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Aveu. J’ai passé ma vie à former avec plus ou moins de bonheur, des enfants d’âge différent (de 13 à 19). Puis des adultes. Là, pour les âges… imprécision et flottement. Etant de tempérament curieux, multiple et de formations diverses, je suis passé des maths aux lettres avant d’échouer dans l’informatique. Et là, ce fut d’une part une découverte intéressante au niveau de cette machine à produire du texte et d’autres choses bien sûr, mais cela m’intéresse beaucoup moins ; d’autre part un sombre ennui because cet aspect contraignant de la machine. Car, hélas, je hais les machines. Longtemps j’ai écrit à la main, puis je me suis astreint à taper sur des machines infernales, dites à écrire, où, si vous ratez une touche, vous vous retrouvez avec le doigt coincé, garanti d’en souffrir pendant une semaine. J’apprécie donc le clavier d'ordinateur, raccourci remarquablement doux au doigt. Mais, je lui reproche son manque d’âme. La plume du stylo-plume, laissait trace sur les doigts, les rendant inconsommables. Le clavier me donne des crampes. Le stylo bille (que je déteste pour son aspect régulier et sans nuance) a toujours été pratique car facilement transportable, quoique fuyant parfois dans la poche autant qu’un « plume ». Cependant, l’avoir sur moi a un aspect rassurant. Sorte de lien à l’écriture. Je m’interroge. Serais-je uniquement une trace qui s’écrit jour après jour ? Tiens, ça me rappelle mes cours de philo. Mais, ce n’est pas de cela dont je veux parler. L’art de la digression m’emplit la tête. Suffit démons des pensées fuyantes. Fuyez.
J’ai donc formé. Déformé d’abord, reformé ensuite. Il n’y a pas d’autres formules possibles. J’ai entendu, lu des affirmations étranges : « je m’appuie sur l’existant. Ah ? Quel existant ? Si tu dois former au chinois une personne qui l’ignore, tu le trouves où l’existant ? Oui, mais c’est un cas extrême ! Non, il n’y a pas de cas extrême. » Apprendre, c’est partir de rien, dresser un chemin et inviter l’apprenant à le suivre. Pour cela, impossible de prendre appui sur ce qu’il ne connaît pas. Lorsque l’on s’appuie sur de l’existant, cela signifie que l’apprenant est déjà en chemin. Mais, chaque chose que l’on apporte est une brique nouvelle dans l’avènement de sa maîtrise. C’est pourquoi, j’affirme : on déforme avant de reformer et donc de former.
Entre nous, je me demande pourquoi je parle de cela. Ça n’intéresse personne. Et c’est déjà beaucoup d’être personne. Rappelez-vous d’Ulysse. Eût-il été quelqu’un que le cyclope le dévorait. Soyons personne.
En fait, ce que je voulais dire, enfin écrire, c’est la joie intense que l’on éprouve à transmettre le peu de chose que l’on sait. Seuls les ignorants croient connaître beaucoup. En cela je reste fidèle au Tao qui fut pour moi une découverte essentielle. D’ailleurs, je ne suis pas le seul. Le problème du Tao c’est qu’il a entraîné la croyance en une divination et que des personnages mercantiles et non inspirés, ont servi cette soupe immonde à tous, renforçant ainsi le caractère prédéterminé de chacun. J’avais un ami très cher, décédé il y a peu de temps, qui croyait férocement à la théorie de la réincarnation. On parlait Blavatsky et d’autres, Kardec, Gurdjieff. J’ai hérité d’un livre sur les pensées occultes de Kardec. En le feuilletant, je me suis aperçu que ce brave homme cherchait à déresponsabiliser l’être humain en lui donnant une longue lignée antérieure d’expériences bonnes et/ou mauvaises. Dans tous les cas, l’être se voit dépossédé de lui-même. Il n’est plus que le résultat d’une aventure qui le dépasse. Et puis, j’ai repensé à mon ami, très grand peintre connu (j’en tairai le nom) et je me disais : tu n’es pas venu me voir, amigos, du fond de ta tombe. Alors ? Peux-tu vraiment croire encore à ce destin de la roue karmique ? Pas de réponse ! Et qui donc a reçu des réponses, je ne parle pas de ces charlatans qui ont soi-disant enregistré ceci ou cela, non. Je parle de ceux qui exercent un esprit dénué de croyance sur un phénomène que beaucoup prenne pour vrai.
Pourquoi ce détour ? Simplement pour parler de l’antériorité qui serait nécessaire à toute forme d’apprentissage s’il était vrai que l’on s’appuie sur de l’existant et non sur du vierge. La déformation consiste à faire prendre conscience de la différence entre ce qui a été saisi par la mémoire périphérique et ce qui serait de la mémoire antérieure.
Bon, j’arrête de vous pomper votre temps avec mes élucubrations. Mais, avez-vous bien suivi ? Oui ? Ah, bravo !
