lundi 18 février 2008
Aujourd’hui, je vous propose un texte simple qui a le mérite de vous plonger dans une ambiance que vous ignorez sans doute. En
effet, en l’an X de la ville de Y, un pauvre écrivain en puissance dut vivre des péripéties qui fêlèrent quelque peu son système neuronal et l’incitèrent fortement, à prendre quelques vacances
dans un HP (hôpital psychiatrique) bien mérité. Cette partie n’est que le début de sa longue saga qui … mais, n’en demandez pas trop.
POT-LARD
Une fois de plus je me penche sur ce p… de manuscrit. Rien
n’aboutit. Mes yeux errent dans cette foutue pièce emplie de bouquins à donner le vertige au meilleur charpentier. Je foutrais bien le feu à tout ce fatras. Si ce n’est que je tiens bêtement à
ces reliques, ces bouts de papier zébrés d’une encre régulière. Du fétichisme ? Même pas. Je reprends donc le cours brièvement interrompu de ce que je souhaite infliger à quelques lecteurs
malchanceux. Lire mes mémoires, ça pourra toujours servir de soporifique aux insomniaques. En parlant d’eux ça revient à moi. Question insomnie j’en connais un rayon. C’est d’ailleurs comme ça
que tout a commencé. Il était très exactement trois heures, vingt six minutes et trente cinq secondes sur ce foutu réveil qui m’empêchait de m’endormir depuis maintenant quatre heures. Il me
surveillait lâchement. A chaque fois que je m’apprêtais à fermer enfin l’œil, la couleur rouge-fluo de ses chiffres digitaux me narguaient. Et bon dieu, m’empêchait de plonger sereinement.
A l’heure précise annoncée –ça fait un peu SNCF, mais quoi !- un épouvantable vacarme me vrilla les neurones. Instantané.
Inutile de vouloir dormir à présent. Aller voir. Au moins ça m’occuperait et ça ne coûte rien. J’ouvre la porte en douceur. Je glisse un œil furtif et … paf ! Mon souper me remonte aux
lèvres. Je serre de toutes forces les dents. L’empêcher de ressortir ; Merde ! Je ne bouffe pas tous les jours un tel gueuleton. Les yeux hallucinés, je me force à regarder. Pas de
doute, tout y est, en morceaux certes, mais c’est bien mon voisin pavillonnaire qui gît là. Sans mains ! Sans pieds ! Et la tête sous le bras. Putain ! L’envie de dégueuler me
reprend. Cette fois, je me précipite aux gogues que j’atteins juste à temps. Penché sur la lunette, je contemple les vomissures qui badigeonnent le fond, les bords. Débordent un peu,
négligemment. Je me redresse, les larmes aux yeux sur l’étendue du désastre. Un dîner à deux cent cinquante balles ! Offert en plus ! Putain ! Qu’est-ce qu’il vient encore me les
casser cet emmerdeur ? Mes esprits me reviennent. Téléphone. Police. Trois minutes pour arriver, disent-ils. Rien toucher surtout. Pas de risque les poteaux. J’en ai encore plein la rétine.
Vision d’enfer.
Ils arrivent. Frappent. J’ouvre. Me demandent de regarder dans le couloir. Ah ! Merde ! Tout sauf ça ! Obligé quand
même. Par civisme. Le marlou de ces dames est on ne peut plus découper. Le drôle de l’affaire, c’est qu’ils lui ont mis ces gros orteils sales dans la bouche à ce mac du dimanche. Et les pieds
sont toujours après les orteils. Par contre les jambes n’ont pas suivi. Elles pendouillent, lamentables, à l’endroit habituel. Les mains sont dans les poches, bien enfoncées, sans les bras … mais
enfin ! On ne peut exiger l’impossible. Les flics en tirent une. Elle tient bien enserrée, une petite fiole en verre épais. Lui arrachent difficilement. Rigidité cadavérique oblige. Ils
l’ouvrent. Parfum exotique, murmure le flic un peu efféminé qui organise la visite du corps. Orient 3, dernier sorti de chez O. Pium. Celui qui se fait appeler commissaire donne quelques ordres
brefs et une partie de la volaille s’envole vers d’autres lieux. Le commissaire me regarde, tend la main accompagnée d’un : « Commissaire divisionnaire Tarin.
-
Octave Demiton, susurré-je.
-
M. Demiton, racontez-moi. En prononçant ces mots, il me recule dans ma turne.
-
Tout a commencé … »
Et j’évacue lentement l’histoire. Il demande à voir. Je lui présente les cabinets d’aisance comme on dit dans le gratin. Il n’a
plus besoin d’un dessin et me croît sur parole. D’ailleurs il rigole et s’esclaffe : « Merde ! Faut sérieusement décaper votre bassine, mon grand –je mesure un mètre quatre vingt
neuf, et cet empaffé frise le mètre soixante- vu l’état des bords et l’odeur, putain ! Vous allez encore le remplir ! » Sale con, pensé-je. Avec la tronche de patate que tu
trimballes … Enfin, il me lâche et disparaît dans les coulisses de l’exploit. Je dégraisse les lieux avant de les remplir et d’aller me coucher. Curieusement je m’endors en faisant de beaux
rêves.
A 11h je m’extirpe de ce sommeil du juste et tout envahit ma mémoire. L’impression du corps obsède mes rétines. Je me secoue et me
hasarde à un œuf coque, un jus d’orange, un café, un fromage, du pain. D’accord, ce n’est pas spécialement léger mais je ne gloutonnerai rien d’ici ce soir …ou demain ? D’ailleurs le
résultat de ce solide en-cas ne se fait pas attendre. Les rétines se nettoient de tout souvenir et je continue tranquille ma journée de futur écrivain reconnu, adulé, adoré, respecté des foules …
j’en passe ! Il faut bien se congratuler de temps à autre, hein ? La porte d’entrée est soudain agitée de coups répétés. J’entrouvre et retrouve mon pote le com’div’ Tarin. Il porte
bien son nom. Avec cette lanterne qui occupe la moitié de sa tête.
« ‘jour M. Demiton. En forme ?
· Ben oui ! ça va mieux qu’au
lever !
· Connaissiez bien votre voisin ?
· Peu ! Mais comme emmerdeur … Lui manquait toujours
quelque chose pour faire sa popote. Bon prince je lui prêtais. Jamais il n’a rien rendu ce tordu !
· Et il n’est pas prêt de vous rendre quoi que ce
soit ! Par contre pour vous faire rendre … alors là ! Fort, non ?
Ce crétin fini s’étouffait de rire. De la chance pour lui qu’il soit flic, sinon …je lui aurais volontiers fait sucer ses semelles
ferraillées !
· Que faisiez-vous cette nuit ?
La question fatidique entraîna un long développement sur mes déboires en sommeil ; sur la vacuité de ces nuits qui n’en
finissent pas de finir; sur la mentalité des médecins qui se foutent de l’exposition de vos manques et vous branchent sur super-médicaments. La discussion menaçait de s’éterniser car le com’div’
connaissait bien cette chanson, habitué qu’il était aux nuits de surveillance, aux coups de fil qui vous sursautent le corps, et à bien d’autres choses. Il me devint sympathique. C’est à ce
moment que, derechef, la sonnette tinta. J’ouvris le passage à une sorte de singe en habit de flic, qui se grattait autant le nez que l’anus. « Letrou, s’écria Tarin ! Qu’y
a-t-il ?
· Ben chef, c’est qu’on en a retrouvé un autre de mec qui
bouffe ses pieds …
· Et ses mains ?
· Dans ses poches !
· Vides ?
· Pas un papier sur lui, …
· Les mains, Letrou ! Les mains
vides ?
Un bref éclair de compréhension éclaira un seul œil du nommé Letrou, qui se gratta avec un acharnement forcené avant de beugler en
basse :
· Non chef. Une fiole de parfum. Voyons… Extase…
Non !
· Parfum exotique ! Orient 3 de chez O. Pium !
Du vent Letrou ! »
Ce dernier disparu non sans s’être lourdement déchargé d’un vent qui faillit m’asphyxier. Le commissaire ricana en
murmurant : « C’est ça le véritable parfum de l’innocence ! » Je l’aurais volontiers scalpé. Je me contentai d’aller ouvrir la fenêtre en grand. Il reprit :
« Va falloir faire un peu gaffe à vos petits petons, mon grand. Ça a l’air sérieux cette histoire, et ça ne sent pas bon ! Quelques jours de vacances à l’étranger vous feraient le plus
grand bien.
· Vous l’offrez ?, proposai-je.
· Les histoires de grand-mère avec des bonnes fées qui
réalisent vos souhaits, faut mieux les oublier, mon grand.
· Alors, je vais demander un garde du corps à notre
inénarrable et irrésistible police nationale. Son regard me fusilla sans délicatesse. Puis il sourit.
· Demiton, faudrait mieux la mettre en sourdine !
Compris ? Je reviendrai de temps en temps dans l’espoir de vous rencontrer raccourci de quarante centimètres, vous traînant sur vos délicates rotules, les pieds entiers dans la gueule !
D’ailleurs, un conseil. Lavez-les régulièrement. »
Il m’abandonna songeur. Je revoyais ce voisin avec son accent méditerranéen, genre français difficile, qui me
demandait : « Tou mé passe un pou dé sel, voisin. J’ti l’rendré demain ! »
A suivre ...